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Je sens que / Je me sens
La plupart du temps, si vous demandez à une personne « Comment vous sentez-vous? » par rapport à une situation préoccupante, elle vous répondra « Je sens qu’il faut absolument faire ceci ou cela … », « Je sens que c’est fichu … ».
Elle vous répondra donc par une pensée, un concept, un commentaire, pas par un sentiment, alors même que la question l’invitait à se situer par rapport à ses sentiments. Cette personne sera sans doute convaincue de vous avoir bien fait part de son sentiment puisqu’elle a commencé son commentaire par « Je sens que ».
De nouveau, c’est notre vieille habitude de penser plutôt que de ressentir qui prime. C’est un vieux réflexe. Il n’est pas irrécusable.
Si nous voulons donc davantage nous renseigner sur nous-même, pour savoir ce que nous vivons vraiment par rapport à une situation, nous avons intérêt à écouter notre sentiment en le formulant comme ceci : « Je me sens inquiet, triste, déçu, etc. ». C’est le sentiment qui va nous aider à identifier notre besoin et, ce faisant, nous permettre de nous situer par rapport à une situation une personne sans la juger, sans la critiquer et sans nous décharger sur elle de la responsabilité de ce que nous vivons. Tant que nous attribuons à l’autre la responsabilité de ce que nous vivons, nous nous déresponsabilisons, tant que nous lui donnons les clés de notre bien-être (et de notre mal-être), nous nous piégeons. Il est donc bien utile de différencier, dans le vocabulaire des sentiments, ceux qui comportent une interprétation ou un jugement sur ce que l’autre dit, fait ou est.
En effet, très souvent, croyant parler au « Je » en prenant la responsabilité de notre sentiment, nous employons des mots considérés couramment comme des sentiments tels que « je me sens trahi, abandonné, manipulé, rejeté ». Or, il est sûr que ces mots-là expriment des sentiments, mais ils véhiculent en même temps une image sur l’autre, une interprétation, un jugement. En filigrane, il est sous-entendu « tu es un traître, un manipulateur, tu m’abandonnes, tu me rejettes ».
Pourquoi établir une liste qui reprenne les mots qui sont habituellement utilisés comme des sentiments mais qui comportent aussi une appréciation sur l’autre? Quelle est l’utilité de cette distinction? Elle me paraît constituer une différenciation-clé que permet de faire la méthode et ce, pour deux raisons.
Il y a deux avantages à différencier les sentiments vrais des sentiments comprenant une interprétation
1- Le premier avantage a trait à notre souhait de cheminer vers nous-même le plus sûrement possible en renonçant aux scénarios de victime et de plainte. Plus notre langage – et donc, notre conscience qui s’y exprime – sera délivré de cette dépendance à ce que l’autre fait ou ne fait pas, plus nous aurons l’occasion de prendre conscience de nos besoins et de nos valeurs et de nous prendre en main pour les valoriser.
Voici un exemple. Pierre, 36 ans, vient en consultation et se plaint régulièrement de sa relation avec sa compagne.
« Je me sens toujours manipulé par ma compagne ».
– Voudriez-vous m’indiquer ce que vous observez qui vous donne cette impression de manipulation?
– Elle me dit : « Tu ne me comprends jamais, on n’est pas faits pour s’entendre. »
– Si vous vous mettez à l’écoute du sentiment qui vous habite derrière cette impression de manipulation, que ressentez-vous?
– De la colère et de la fatigue. J’ai l’impression que c’est toujours moi qui dois la comprendre et que je dois la comprendre toujours sinon, je ne vaux plus rien. Au fond, je ne vaux quelque chose à ses yeux que si je la comprends toujours.
– Et si vous écoutez les besoins que cette colère et cette fatigue indiquent, qu’est-ce qui vous vient?
– Le besoin de respect, de respect pour moi-même, le besoin d’être pris pour qui je suis et non pas pour qui elle voudrait que je sois.
– Est-ce une impression que vous connaissez, que vous avez déjà vécue, que de ne pas être accueilli pour qui vous êtes vraiment?
– Bien sûr, je me retrouve comme j’étais face à ma mère, j’étais alors devant un juge et accusé injustement, à la fois indigné que mon identité propre ne soit pas reconnue et impuissant à la faire valoir.
– Quand vous évoquez cela, comment vous sentez-vous?
– Fatigué et déçu.
– Est-ce que ces sentiments de fatigue et de déception indiquent le besoin de vous accueillir davantage vous-même de place, de vous autoriser à vivre davantage votre identité?
– (Ému). Oui, tout à fait.
– Si ces besoins sonnent effectivement juste pour vous, je vous propose de les répéter à haute voix pour vous donner l’occasion de les intégrer, de les vivre déjà intérieurement.
– (Après un temps de silence). « O.K., j’ai besoin de m’accueillir davantage moi-même, de me faire à moi-même davantage de place et de m’autoriser à vivre davantage mon identité. »
Remarque
Je propose très souvent aux personnes en travail d’accompagnement de formuler à haute voix leurs besoins. L’expérience enseigne en effet que la personne qui s’entend proposer un besoin qui correspond bien à ce qu’elle vit va 1) soit dire « C’est bien ça, mon besoin, il faudra que j’y repense après l’entretien, j’en prendrai note » et le besoin restera virtuel, comme une méthode thérapeutique lue dans un livre ou un article mais que l’on n’intègre jamais par l’expérience; 2) soit immédiatement enchaîner en disant « Mais de toute façon, ça a toujours été comme cela, je ne vois pas comment les choses pourraient changer. Il n’y a pas de solution, alors à quoi bon identifier mes besoins? ». Ce faisant, la personne enterre elle-même, sous ses pensées négatives, le besoin qui tentait d’émerger à sa conscience. Elle ne lui laisse même pas le temps d’exister et d’être identifié, qu’il est déjà refoulé.
Je suis donc attentif à ces deux risques et j’invite souvent la personne à prendre le temps, tout doucement, de reformuler son besoin à haute voix après avoir vérifié qu’il sonne juste pour elle.
Pour certaines personnes, c’est un exercice facile et joyeux auquel elles se prêtent volontiers en éprouvant enfin la joie d’identifier et d’exprimer clairement leurs besoins. Le sentiment partagé par elles est le plus souvent le soulagement, le bien-être, et le besoin comblé est la clarté, la compréhension, l’ouverture sur une piste à explorer. Pour d’autres, cette étape se révèle très difficile. L’interdit qui pèse sur le fait d’éprouver des besoins et, a fortiori, de les exprimer devant quelqu’un est tel qu’elles ne parviennent pas à répéter la phrase même la plus simple comme « J’ai besoin de respect pour mon identité ». C’est presque impossible, les mots ne sortent pas. Il faut alors faire un travail d’apprivoisement qui peut prendre quelques séances jusqu’à ce que la personne se sente à l’aise d’exprimer son besoin, d’en parler, de le commenter, de le nuancer, c’est-à-dire, de le comprendre. « Com-prendre », c’est faire sien.
Je vis toujours ces moments, qu’ils soient faciles ou difficiles, comme des moments sacrés. La personne se réapproprie sa vie, se recentre et se rassemble, se cueille et se recueille. Et n’est-ce pas sacré pour elle de redevenir en vie et en envie, de constater que la vie l’habite et l’anime, qu’elle peut se mettre à son écoute et se laisser guider par elle?
Nous verrons plus loin comment, après l’identification du besoin, s’enclenche l’action concrète, la demande. Mais revenons à Pierre et à la différenciation-clé entre sentiment vrai et sentiment teinté d’interprétation. Tant que la conscience de Pierre se formule par « Je me sens manipulé », il reste dépendant ou tributaire de l’attitude qu’il prête à l’autre. C’est l’autre qui est responsable de son mal-être. Le mot « manipulé » comporte, en effet, l’interprétation que l’autre manipule. Et peut-être le comportement de l’autre lui donne-t-il effectivement toutes les raisons d’avoir l’impression d’être manipulé, là n’est pas la question.
Ce qui est intéressant, c’est de constater que Pierre commence à sortir de sa plainte (« Elle me manipule, je suis sa victime ») quand il atteint son vrai sentiment (« Je suis triste et en colère ») et son besoin à lui (« J’ai besoin de respect pour mon identité »). C’est quand il commence à parler vraiment – en vérité – de lui-même que le travail commence. Tant qu’il commente plus ou moins indirectement ce que sa compagne fait ou ne fait pas, il n’avance pas. Dès qu’il parle vraiment de lui, il avance. C’est Lacan qui disait à une patiente : « Quand vous m’aurez dit une parole qui parle vraiment de vous, vous serez guérie ».
Dans le travail d’accompagnement thérapeutique, que l’on peut voir peut-être comme une tentative de résolution du conflit qui intervient entre le conscient et l’inconscient, c’est cette parole que l’on cherche ensemble, pas pour la parole en soi bien sûr, mais pour la conscience qu’elle libère. Ainsi, Pierre a-t-il pu davantage prendre conscience de ce qu’il vit, ce qui lui permet d’entamer vraiment le travail nécessaire pour se dégager de son complexe maternel négatif et s’ouvrir enfin à l’accueil et au respect de lui-même. Je l’ai vu, en deux années d’accompagnement, passer de la victimisation et de sa dépendance à l’alcool, à son succès auprès des femmes et dans sa carrière professionnelle, à l’autonomie et à la responsabilité.
Dans les tentatives quotidiennes de résolution des conflits de tous les jours, la recherche de la parole vraie aura le même avantage : éclairer notre conscience quant aux vrais enjeux qui sous-tendent les enjeux apparents et stimuler notre responsabilisation.
2- Le second avantage qu’il y a à différencier les sentiments vrais des sentiments teintés d’interprétation est que cela nous permet de nous faire bien comprendre par l’autre grâce à des mots qui suscitent le moins possible l’inconfort, la peur, la résistance, l’opposition, la contradiction, l’argumentation et la fuite. Rappelons-nous que notre intention est la qualité de la rencontre avec l’autre. Nous ne souhaitons pas seulement que l’autre entende nos mots, nous souhaitons qu’il écoute ce qui se passe en nous. Tout comme lorsque nous l’écouterons à notre tour, nous ne souhaiterons pas seulement entendre les mots qu’il dit, mais écouter ce qui se passe en lui.
Épurer notre langage et notre conscience de ce qui génère opposition, division et séparation.
Nous serons donc attentifs à travailler notre langage et notre conscience pour les épurer de tout ce qui génère opposition, division, séparation, pour les nettoyer de tout ce qui est – ou peut-être entendu comme – jugement, interprétation, reproche, critique, préjugé, cliché, rapport de force ou de comparaison, parce que nous savons d’expérience que si l’autre entend quoi que ce soit que nous formulons comme un jugement, une critique, un reproche, une idée toute faite sur lui, il ne nous écoute plus, il se bouche les oreilles – parfois très poliment – et prépare sa réplique, sa repartie. Il ne se met pas en lien avec nous, avec ce qui se passe en nous, il prépare sa contre-attaque ou son auto-défense.
L’exemple de Pierre
Dans une conversation classique, si Pierre dit à sa compagne « Quand tu me dis cela, je me sens manipulé … », sa compagne risque bien de répondre : « Mais non, je ne te manipule pas. Tu crois toujours être manipulé, c’est fatigant à la fin ». Qu’est-ce qu’elle fait? Elle se justifie, elle argumente, elle contredit. Elle n’écoute donc pas Pierre et ne s’écoute pas elle-même non plus. Elle reste dans son espace mental.
Elle peut également réagir comme ceci : « Mais c’est toi qui manipules, t’as pas vu comment tu réagis … ». Qu’est-ce qu’elle fait? Puisqu’elle a pris l’attitude de Pierre comme une attaque, elle contre-attaque, elle riposte. Par conséquent, elle n’écoute pas davantage Pierre ni elle-même.
En appliquant la méthode, Pierre pourrait dire à sa compagne : « Quand tu me dis que tu ne me comprends jamais et qu’on n’est pas faits pour s’entendre (Observation), je me sens fatigué et en colère (Sentiment) parce que j’ai besoin d’être pris pour ce que je suis et pas pour ce que tu voudrais que je sois ; j’ai aussi besoin de reconnaissance pour la compréhension que je t’apporte régulièrement ; et enfin, j’ai besoin de sécurité dans notre relation, d’être assuré que ce n’est pas parce que je ne te comprends pas toujours, ni aussi bien et aussi vite que tu le souhaiterais, que je ne tiens pas à toi et que tu ne comptes pas pour moi (Besoin). Je voudrais savoir comment tu te sens quand je te dis cela (Demande concrète et négociable) ».
Pour la compagne, entendre que Pierre se sent fatigué et en colère par ce qu’il a trois besoins insatisfaits qu’il nomme clairement et par rapport auxquels il lui demande à elle de prendre position sans jugement ni contrainte, se révélera moins menaçant que de se voir attribuer indirectement l’étiquette de manipulatrice, comme c’était le cas dans la première situation. Ce qui, par ailleurs, n’apportait aucune clarté sur les véritables enjeux de la relation. L’attitude de Pierre engage davantage que dans le premier cas à une conversation de fond sur les éléments essentiels de la relation : le respect de l’identité de chacun, la reconnaissance et l’estime mutuelle pour le rythme et la manière dont chacun manifeste son attention et la sécurité affective intérieure profonde rendue ainsi moins dépendante des signes extérieurs d’approbation.
Exercice
Essayez vous-même de décoder vos sentiments vrais derrière les sentiments-étiquettes. Voici quelques propositions.
N’est-il pas plus précis et plus vrai de dire : « Je me sens seul et triste, j’ai besoin d’être rassuré sur le fait que je compte pour toi, que j’ai ma place dans ton cœur, même si tu choisis pour le moment de faire autre chose plutôt qu’être avec moi ».
N’est-il pas plus précis et plus vrai de dire : « J’ai peur, j’ai vraiment peur, j’ai tellement besoin de pouvoir compter sur la confiance mutuelle et la franchise entre nous, besoin de savoir que les choses convenues et les engagements pris sont respectés et que s’ils ne peuvent l’être, nous en parlions ouvertement ».
N’est-il pas plus éclairant, plus informatif pour soi comme pour l’autre d’entendre ceci : « Je me sens malheureuse, déçue et fatiguée (Sentiment), j’ai besoin d’arriver à prendre ma place (dans mon couple, ma famille, en groupe, en société, au travail) et de m’autoriser à prendre ma place ; j’ai aussi besoin que les autres comprennent que c’est une chose difficile pour moi et que leur aide ou leur encouragement me seraient précieux (Besoin). Que puis-je dire ou faire concrètement qui nourrisse ces besoins (recherche de la demande)? Que puis-je moi-même mettre en place pour obtenir le changement que je veux? Ce type de prise de conscience permet de sortir du scénario de « victime toujours rejetée », car il clarifie ce que nous pouvons faire concrètement pour obtenir le soutien des autres, quelle est la démarche (demande, action) concrète que nous pouvons mener pour changer.
N’est-il pas plus responsabilisant et plus stimulant de prendre conscience des sentiments et besoins suivants : « Je me sens seul, impuissant et triste. J’ai profondément besoin d’intégration, d’échange et d’appartenance. Que puis-je mettre concrètement en place qui aille dans le sens de la satisfaction de ces besoins? Que puis-je changer par moi-même qui me permette de commencer à nourrir ces besoins? »
Voyez qu’en utilisant un sentiment vrai, qui renseigne vraiment sur ce qui se passe en nous, nous nous donnons davantage l’occasion de nous recentrer et de nous prendre en main et nous donnons à l’autre davantage l’occasion de rester centré sur ce que nous lui disons de nous, de prendre en considération ce que nous vivons. Notre faculté de « parler vrai » stimule la faculté de l’autre « d’écouter vrai ».
Cessez d’être gentil, soyez vrai!, Thomas d’Ansembourg, Editions France Loisirs, Juillet 2006, pp. 77-85
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