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L’image de soi est, avant tout, un sentiment, le sentiment d’exister et d’être soi ; un soi que l’on aime ou que l’on rejette, que l’on protège ou que l’on expose. Elle se forme tout au long de la vie et à notre insu. Les principaux ingrédients qui composent l’image de soi sont :
D’abord, tout ce qui vient du corps tel que je le sens et tel que je le vois – ma voix, mes odeurs, mes douleurs, mes sensations viscérales, mes sensations proprioceptives, l’image de mon corps renvoyée par la glace, et, surtout, l’expression de mon visage quand je me regarde dans le miroir.
Ensuite, tout ce qui vient du langage dans lequel je baigne. Ma langue maternelle, mon patronyme et surtout, la multitude des symboles qui ont marqué et marquent ma vie.
Puis, tout ce qui vient d’autrui : l’image de moi-même renvoyée par mes proches, mes amis et mes pairs.
Enfin, dernier constituant, tous les alluvions de mon histoire, je veux dire les traces et les cicatrices laissées par les événements marquants de mon passé.
Tous ces éléments issus du corps, du langage, des autres et de mon histoire, je ne cesse de les intégrer en moi depuis ma naissance et de voir s’esquisser dans mon esprit un vague auto-portrait aussi immuable que changeant, appelé image de soi. Cet auto-portrait virtuel et identitaire est la substance même de notre moi. En fait, l’image de soi et le moi sont deux expressions possibles pour désigner le sentiment le plus intime, celui de se sentir soi-même.
Pourriez-vous développer le troisième constituant de l’image de soi, celui de l’influence d’autrui?
Que je me distingue de l’autre ou que je me sente semblable à lui, que je me sente autonome ou que je dépende de lui, il est indiscutable que j’ai besoin de l’autre pour être moi. Déjà, dans notre vie fœtale, nous avons le sentiment d’exister grâce aux innombrables stimuli internes et externes, ainsi qu’aux émotions transmises par la mère qui nous porte dans son sein. Une fois nés, l’échange se poursuit quand on se sent exister dans l’éclat du regard ému que nos parents nous adressent. Nous sommes alors conscients de vivre pour quelqu’un. Et puis, au fil des années, chaque enfant devient un « dévorateur » des adultes qui comptent pour lui. Il aime en s’identifiant à chaque personne de son entourage. Aimer l’autre, ce n’est pas seulement lui exprimer de la tendresse, c’est surtout faire comme lui, lui ressembler, l’assimiler, et ce, sans s’en apercevoir. Tous les adultes seront pour lui des miroirs l’amenant à comprendre, peu à peu, qui il est, et surtout ce qu’on attend de lui. Les idéaux, les valeurs et les jugements familiaux et sociaux viennent ainsi s’inscrire chez le jeune enfant et mouler sa personnalité.
Vous le voyez, il y a d’abord le regard des autres, regard qui me reconnaît ou me rejette mais qui, de toutes façons, influence l’image que j’ai de moi-même. Et puis, il y a mon propre regard intérieur, somme de tous les regards des autres introjectés au fil du temps. Cet auto-regard se traduit souvent par une conscience morale qui me flatte ou me critique, me loue ou me condamne. Mais que le regard de l’autre soit extérieur ou intérieur, il reste le principal agent formateur de l’image de soi.
Le regard des parents laisserait donc une empreinte indélébile dans la manière dont nous nous percevons?
Oui, c’est essentiel. Si l’on grandit sans cette présence de l’adulte tutélaire, cela provoque beaucoup de souffrances. Prenez le cas des prématurés nés à six mois de grossesse, qui restent plusieurs semaines seuls à l’hôpital. Ce sont généralement des enfants qui éprouvent ensuite de grandes difficultés pour incorporer l’autre, s’y identifier et se construire. Dans les cas les plus graves, ils souffrent de troubles psychiques irréversibles ou manifestent des conduites antisociales (délinquance, vol, comportements à risques, suicide, etc.). Cela dit,l’omniprésence des parents peut, elle aussi, être néfaste. Les enfants rois, par exemple, sont tellement habitués à être comblés qu’ils ressentent la moindre frustration comme un abandon ou une humiliation insupportables. Défaillance ou omniprésence d’autrui ont souvent pour effet la formation de personnalités fragiles qui ont du mal à nouer des relations affectives saines.
Qu’est-ce qui différencie le regard du père de celui de la mère?
Si le regard de la mère est essentiel dans le développement affectif du bébé, celui du père devient tout aussi fondamental vers l’âge de 3 ans, au moment où débute la phase œdipienne et corrélativement, la construction de l’identité sexuelle. Quand un père dit à sa petite fille qu’elle est belle, par exemple, en la regardant avec tendresse, il lui permet de comprendre inconsciemment sa différence avec les garçons et d’affirmer sa féminité. Quant au garçon lui-même, dès lors qu’il partage des activités avec son père, il sent qu’on l’inclut dans la communauté des hommes, et ce sentiment lui permet de grandir plus sereinement.
Pourquoi certaines personnes sont-elles si sensibles aux opinions extérieures alors que d’autres y sont indifférentes?
En vérité, nous sommes tous attentifs aux louanges ou critiques mais, je vous l’accorde, certaines personnes sont effectivement plus sensibles que d’autres. Cela dépend d’un seul facteur, la solidité de l’image que l’on a de soi. Si je m’accepte tel que je suis, si je me sens globalement heureux d’être celui que je suis, l’opinion des autres m’importe, certes, mais elle ne me déstabilise pas, car je suis capable de la relativiser. Si, au contraire, je doute de moi, je veux dire, si je ne m’accepte pas tel que je suis et ne m’aime pas, l’opinion de l’autre devient essentielle, soit parce qu’il m’encourage soit parce qu’il m’accable. En un mot, l’équation serait la suivante : plus je suis en paix avec moi-même, plus je relativise l’importance du regard des autres. Et, inversement, plus je suis déçu de moi-même ou infatué de moi-même, plus j’ai besoin du regard d’autrui.
Et de quoi dépend que je sois en paix avec moi-même?
Cela dépend de la manière dont vous avez été aimé. Si vos parents ont su vous éduquer sans vous rabaisser, je veux dire, s’ils ont su vous inculquer les règles et les interdits de la vie en société sans vous faire sentir que vous êtes « un enfant roi » ou, au contraire, « un incapable », alors, vous aurez appris à vous aimer sereinement et à vous juger avec la même indulgence qui fut celle de vos parents. C’est pour cette raison que je conseille toujours aux mères de dire et répéter à leur enfant qu’elles sont fières de ce qu’il est, de son intelligence, de sa détermination et ce, malgré ses inévitables défauts. A chaque épreuve décisive, il faut lui dire qu’on a confiance en lui et qu’on ne doute pas de son succès dans la vie. La plus grande difficulté pour les parents, c’est d’éduquer leur enfant tout en évitant qu’il perde l’estime de lui-même. Par exemple, quand on lui apprend à faire du vélo, si vous lui dites : « Ce n’est pas comme ça qu’il faut s’y prendre, tu ne comprends rien, regarde-moi! », on le déstabilise. Ici, les mots en trop sont : « Tu ne comprends rien! ». Il vous faut faire preuve de patience, essayer d’autres gestes d’apprentissage et penser toujours à consolider sa confiance en lui. Cette confiance est en fait le véritable but de toute éducation.
Qu’en est-il vous concernant? Quelle image avez-vous de vous-même?
DOLTO, F. et NASIO,J.-D., Dialogue à France Culture, du 14 au 18 septembre 1987 (inédit), extrait de Mon corps et ses images, de J.-D. Nasio, Petite Bibliothèque Payot, pp. 211-217