Conscience & Connaissance de soi | Développement personnel | Evolution personnelle | Réalisation de soi | Potentialiser les situations de vie
[…] Sortant de ma réserve, je lui demandai :
– Don Diego, si je comprends bien, vous faites une distinction entre la légende des Sept Plumes de l’Aigle et ces Neuf Feux sacrés dont vous me parlez?
– Oui! … Oui, en principe. Mais ne te complique pas à chercher où est la différence. Ce n’est pas important pour toi. Ecoute plutôt ce que je te confie en ce moment unique. Tout ce que je te dis est dans un ordre approximatif. Essaie d’éviter, dans ta vie, de faire de toute révélation qui te viendra une table de commandements, un système idiot de pensée rigide. Introduis en toi les notions que je te donne avec ton sentir. Il suffit que tu sois dans ton corps comme te l’a enseigné ton maître le Chura. Ne te préoccupe jamais de les comprendre. Aime-les! Ces principes majeurs, lorsqu’ils seront incarnés, t’amèneront vers un certain état de conscience libre et responsable, relié à la vraie mémoire.
Tout mon corps, suspendu à sa voix, était à l’écoute.
– Le Premier Feu sacré, dit-il, touche le plan de Dieu. Il nous informe que ce que nous appelons par ignorance « hasard » n’existe pas, que tout, dans la vie de l’homme conscient, obéit à un plan sans cesse renouvelé, qu’il soit individuel ou en relation avec la collectivité. Ce premier principe est en réalité très simple. Il nous recommande de rester éveillés à la loi des coïncidences lors des rencontres et des événements qui se produisent dans la vie quotidienne. Il nous demande de savoir faire le tri entre ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est positif et ce qui ne l’est pas.
>> Le Deuxième Feu, continua-t-il, proclame le principe divin qui existe à l’intérieur de toute vie, qu’elle soit minérale, végétale, animale, humaine ou au-delà. Ce feu incite l’homme à se libérer du fléau de la peur du monde et de la peur d’être lui-même. Il lui apprend à vivre sans se comparer à personne mais en sachant s’enrichir de toute altérité.
>> Le Troisième Feu de la Tradition de l’Aigle recommande à l’homme de protéger son espace vital. C’est très important pour la vie de la conscience. Ce Feu sacré nous informe que, dans l’univers où nous vivons, tout se traduit par une lutte impitoyable des énergies autour de l’attention humaine. Ces énergies sont tantôt positives, tantôt négatives et quelquefois neutralisantes, suivant les circonstances et selon les situations que nous avons à gérer dans la vie de chaque jour. Ce Feu conseille à l’être humain de rester attentif à la sensation de son corps physique afin de ne pas se laisser dévorer par autrui et d’apprendre à se nourrir de sa propre énergie vitale sans avoir besoin de voler celle des autres. Le moyen technique que nous, les chamans, nous avons découvert à cet effet est le sentir volontaire du corps physique.
Je l’interrompis :
– Don Diego, cette énergie vitale dont vous me parlez provient-elle du corps physique?
– Oh non, dit-il, ce n’est pas de celle-là dont je parle! La plus haute énergie dont nous disposons est celle de notre esprit. C’est l’Attention, qui, en général, n’est que vagabonde.
J’étais captivé. Je continuai à questionner :
– Don Diego, pouvez-vous me renseigner davantage sur ce Troisième Feu? J’ai l’impression que dans l’Attention se trouve la clef de toute évolution et de toute liberté.
– Plus tard, mon ami, plus tard. Pour le moment, laisse-moi masser ton entendement et dénouer calmement tes nœuds. Le grand souffle de Dieu se déverse dans ton corps lorsque tu écoutes en silence!
Et il continua :
– Le Quatrième Feu est pour ainsi dire une prolongation du Troisième. Ce Feu est totalement inconnu dans le « monde ». Il met en évidence la tendance presque totale à l’individu à s’oublier lui-même dans la vie de chaque jour. Cette absurde situation d’identification mentale l’empêche d’utiliser ses propres moyens de discernement et de vivre pleinement le présent. Elle fait de lui un pantin.
Je ne pus m’empêcher d’intervenir encore une fois :
– Pardon, Don Diego, mais il me semble avoir rencontré souvent des allusions indirectes à cette identification mentale dans les écrits des maîtres … jamais cependant explicitée de façon claire.
Le chaman soupira patiemment, leva les bras et me répondit :
– Luis, l’identification est un fléau incrusté dans le cerveau humain passif. Il est le résultat du sommeil de l’esprit, celui-ci étant provoqué par l’oubli de soi-même et par la négation de sa propre dignité et souveraineté.
Je me tus, rentrant violemment dans mon sentir.
– Le Cinquième Feu touche la créativité, s’exalta Don Diego en ouvrant généreusement les mains face à moi. Il est très spécial. Illogique même. Il t’invite à affronter toute situation qui se présente à tes yeux comme difficile, libéré du doute de ton mental. En ayant confiance et foi en toi et en ton Seigneur, tu y parviendras sans effort. Essaie et tu verras. Étrange phénomène, ce sacré Cinquième Feu! Surprenant et mystérieux à expérimenter, il annule nos limites éphémères. Mon vieux maître l’appelait « l’art de faire comme si ». C’est vivre en état de « certitudes », si tu préfères.
Le chaman avait baissé la voix et changé de ton, comme s’il me confiait un secret si important qu’il ne pouvait être entendu par personne. Il me fixait au fond des yeux.
– C’est comme si tu pouvais, par le regard de ton esprit, avoir accès à certaines régions de ton passé et même de ton futur, t’introduire sans effort et libre de ta personne dans des sphères de vie totale. C’est encore un pouvoir de la vision de l’Aigle. En le pratiquant, colle à lui, tu auras des surprises. Bien sûr, je te préviens, ce Cinquième Feu, s’il est passionnant à vivre, n’est pas commode du tout!
Don Diego riait, le visage ivre de joie. J’étais de plus en plus amoureux, séduit, subjugué par cet homme, le chaman aux serpents. Il m’instruisait tendrement en me faisant partager l’intimité de sa connaissance. Sa voix me perforait les entrailles :
– Mon ami, le Sixième Feu n’est pas commode non plus. Il constitue toute une aventure à l’intérieur même de la vie. Il demande de ne pas subir le monde des autres. C’est un défi incontournable pour l’esprit de l’homme … Oui, un sacré Feu encore que celui-là! Il t’amènera à rentrer de plain-pied dans ton histoire véritable, à te confronter avec elle, sans mensonge ni peur. Il t’invite à recréer ta propre famille, si tu en as besoin, à constituer ton propre royaume à l’intérieur de toi-même, ta propre noblesse. Il te demande d’être capable, par ta volonté, de bâtir une seigneurie royale en toi, autour de ton Seigneur et Maître. Il exige de toi d’imaginer et d’ériger ton propre temple à l’intérieur de ton cœur, ton jardin secret où personne ne peut entrer, la cathédrale intime de ton âme qui sera le lieu privilégié de tes rites et de tes offrandes.
Il m’était difficile de freiner les sanglots qui résonnaient sourdement dans mon cœur. J’étais abasourdi par tout ce que me donnait le chaman. Je pleurais en silence, goûtant les prémices de l’amour qu’il déversait dans mon âme.
Don Diego me laissa évacuer ma tristesse. Il se leva et sortit. Il y a des choses que l’homme doit faire en solitaire.
Je sentais que, par la force de son langage, le vieil Indien me régénérait, me faisait sortit du tombeau des impuissances et rendait sa noblesse à ma vie. Il ouvrait délicatement des réseaux ignorés de ma conscience, m’amenait avec tendresse et sans souffrance vers ma délivrance, me guidait vers le lieu où j’allais enfin naître.
Don Diego revint s’asseoir dans la cabane et garda longtemps le silence pour ne pas me déranger. Puis il recommença à parler à voix basse, avec un ton de profonde tristesse, comme s’il avait honte de ce qu’il allait dire :
– Tu sais, Luis, le Septième Feu sacré est le plus difficile à réaliser pour l’homme. Même le concevoir théoriquement semble hors de portée. Je me suis longtemps cassé la gueule avant de l’atteindre. Il s’agit de parvenir à faire les choses dans la vie sans avoir en vue aucun espoir de récompense ni de remerciements de la part des autres ni même de Dieu. S’habituer à faire les choses parce qu’il faut les faire. Pour rien. Point. C’est simple à dire, mais bougrement difficile à réaliser, je t’assure. Cet état de non-profit, tu le verras par toi-même, est la plus dure épreuve à laquelle tu seras confronté dans ta vie. Je te conseille de t’accrocher à ton sentir et à rien d’autre pour t’en approcher. Peut-être cela aidera-t-il.
Don Diego cracha par terre et se tut. Une forte grimace intérieure transparaissait sur son visage. Il demanda à Inès de nous servir du café avec du mescal. Je sentis que nous étions parvenus à une fin et que le chaman m’offrait à moi aussi la possibilité de m’éloigner. Je me levais sans hésiter et je sortis de la cabane pour aller me laver les yeux à la lumière du monde. Je respirai à pleins poumons l’air du désert et j’allai uriner avec l’étrange sensation d’être soûl et en train de rêver debout.
Lorsque je revins dans la cabane, Inès me servit, arrosé de mescal, l’excellent café qu’elle avait préparé, puis elle s’occupa de mettre le couvert pour le déjeuner. Don Diego, indifférent à ma personne, s’entretenait avec elle en sirotant son alcool. Je ne pouvais éviter d’entendre leur conversation et je me sentais assez honoré qu’ils la tiennent en ma présence. Il était question d’une importante réunion de chamans qui devait se tenir quelques mois plus tard dans le Yucatan et que don Justino était chargé d’organiser. Don Diego comptait y proposer, face à l’évolution actuelle de la société, un profond changement d’attitude des responsables de la tradition orale, une actualisation de leurs méthodes pédagogiques, afin de mettre leur savoir ancestral au service du futur. Il fallait, disait-il, s’éloigner du contexte magico-religieux, inventer en quelque sorte une espèce nouvelle de chaman, dépouillé de ses aspects folkloriques qui le maintiennent hors du monde.
Je m’apercevais combien mon hôte allait à l’encontre de la tendance habituelle de ceux qui ont atteint un certain degré de connaissance : se cantonner dans leurs acquis.
[…] Don Diego s’étira de tout son long, bâilla les yeux fermés et me dit après un moment de silence :
– Bon, mon ami, avant de faire un petit somme, je te commenterai le Huitième et le Neuvième Feu! Le Huitième Feu est l’un des plus délicats. Il touche cette étrange force qui parfois nous visite et que nous appelons ici l’Amour. L’accès à ce secret qu’est l’Amour peut te permettre de corriger en profondeur ta vision individuelle des choses et, par conséquent, la compréhension du monde dans lequel tu vis et la connaissance que tu as de toi-même et de tes semblables, les animaux, les plantes, la nourriture et ta mère, la terre. Chez nous, les chamans, poursuivit-il, l’amour n’est pas seulement un sentiment, c’est une force, une Entité majeure que l’on nomme dans la tradition la Sainte Terre, la terre de ceux qui savent cultiver et féconder « l’épice ». Développe ton sentir et tu apprendras. Veille à ce que ta conscience ne se sépare jamais du sentir de ton corps. Ne te laisse voler par personne la sensation que tu as de toi-même. Défends-là contre l’oubli, ton ennemi, et, si Dieu le veut, les portes d’une nouvelle perception s’ouvriront en toi.
>> L’Amour, ce n’est qu’un jeu dans le monde du désir, dit-il encore, en se tapant les cuisses des deux mains et en riant aux éclats. Les femmes sont d’excellentes maîtresses pour te l’apprendre, n’est-ce pas, ma belle Inès?
J’eus subitement envie de rire moi aussi, de rire et de pleurer avec une violente volupté. Une peur me quittait. Celle d’accepter que tout, depuis ma naissance, n’avait été qu’un immense jeu dans les mains de Dieu, et qu’Il m’invitait sans cesse à jouer avec Lui. La voix du chaman m’arrivait à peine, comme venant de très loin … Il me parlait du Neuvième Feu.
– … Oui, mon ami, c’est ainsi que j’ai découvert ce Feu Sacré des Certitudes. Ce lieu où finissent toutes les croyances, tous les espoirs qui naviguent dans le temps. Ici, au milieu de ma poitrine! Il est là, coincé entre mes deux omoplates!
Il se leva et alla vers la porte en se tapant violemment la poitrine.
J’étais littéralement assommé par le contact intime que je venais d’avoir avec don Diego et les révélations qu’il m’avait faites à propos de la Fondation secrète de l’Aigle. Je ressentais profondément la densité de tout ce qu’il avait déposé dans les cellules vivantes de mon corps, de mon esprit et de mon âme. […]
Luis Ansa, Henri Gougaud, Le secret de l’aigle, Editions Albin Michel, 2008, pp. 66-73.
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