Conscience & Connaissance de soi | Développement personnel | Evolution personnelle | Réalisation de soi | Potentialiser les situations de vie
Elle s’appelle Aïcha.
A 40 ans, elle a l’impression que sa vie est vide. Elle se sent seule, isolée, exclue d’un monde dans lequel elle voudrait tellement faire partie. Elle se sent abandonnée d’un Dieu auquel elle s’accroche férocement dans l’espoir vain qu’il lui viendra en aide, qu’il décidera pour elle de la marche à suivre, de la décision à prendre quant à sa vie. Ce Dieu tend à jouer le même rôle que tous les individus qui l’entourent : la définir, la figer dans des contours hachurés à la va-vite dans lesquels elle s’enferme et se cloisonne volontiers.
Née en France, elle se vit pourtant dans l’exil. Où sont ses racines ? En Tunisie, la terre d’origine de ses parents ? En France, berceau de sa naissance et de son éducation ? Ailleurs ? Elle se sent coincée entre ces deux cultures sans arriver à se les approprier et à les faire siennes. L’exil forcé de sa mère a donné forme et couleur à son scénario de vie. Ma place est partout et nulle part. Je suis, tel le Mat, en quête de mon identité profonde. En attendant, j’erre plus que je ne m’oriente vers une destination et un but bien précis.
Nichée dans le ventre de sa mère, elle absorbe et se nourrit de son anxiété et de son apitoiement quotidiens. Elle ressent son exil comme une signature qu’il lui faudra apposer à peine sa naissance enregistrée sur le cadastre des loyautés familiales. Elle ne le sait pas encore et ne le saura peut-être jamais. Comment pourrait-elle s’en souvenir ? Elle est si petite. Elle est en cours de gestation. Pourtant, cet embryon, telle une éponge, absorbe les vibrations que sa mère émet, elle ressent son désarroi, son désespoir d’avoir été arrachée à la terre qu’elle aimait tant, à ses racines, à sa source. Elle ressent la haine qui filtre dans ses veines à l’idée d’avoir été de force mariée à un homme qu’elle n’a pas choisi. Elle était si jeune. Adolescence spoliée. Marquée au fer rouge. Décidée par les traditions plus que par l’amour des siens. Elle commence ainsi, inconsciemment, à engrammer le fait que les traditions sont des piliers sur lesquels s’adossent des lois qui divisent plus qu’elles ne rassemblent. Et pourtant, elle ressent tellement fortement l’adoration de sa mère envers son dieu qu’une partie d’elle fait de la place à ce même dieu, à ce pays d’origine qu’elle ne connaît pas et qui, pourtant, coule dans chacune de ses cellules. Un nœud commence, subrepticement, à se former en elle. Comment un dieu peut-il consentir à diviser à travers des lois relevant de traditions qu’il est impossible de remettre en cause et qui place ma mère en tant que victime sacrificielle ? La vie se résumerait-elle à vivre servilement pour le bien d’un clan familial par trop sensible au regard de l’autre et au qu’en dira-t-ton ?
Je suis trop petite pour comprendre toutes ces choses et me poser de telles questions. Tout ce que je suis en mesure de faire, c’est d’absorber toutes ces influences car c’est ce que je vois, j’entends et ressens de longues journées où je me sens perdue et en insécurité sans savoir exactement pourquoi. Un enfant ne pose pas de questions. Il ne philosophe pas. Il ressent, il voit, il entend. Des matériaux qui en surgissent découle le scénario de vie qui sera le sien et qui viendra ponctuer chacun des moments de sa vie.
En grandissant, elle émet le vœu de se marier avec un musulman et d’avoir des enfants. Ce souhait se profile comme une évidence. Et pourtant, un malaise profond s’empare rapidement de cette évidence qu’il enclave dans un conflit intérieur qui ne cesse de la hanter et de la diviser. Les piliers Traditions qui ont tant de valeur pour elle tout comme ils l’étaient pour sa mère lui susurrent au creux de l’oreille : « Aucun musulman ne voudra d’une tunisienne née en France. Parce que les françaises sont libres. Tu devras vivre sous le joug de ton mari et des siens ». Liberté, liberté chérie dont ma mère a été tant privée et dont elle a tant souffert. Son vœu devient une prison qu’elle traîne partout où elle va, se fermant à toute possibilité de rencontres. Parole enfermée dans un corps devenu le siège de tortures qu’elle s’inflige comme pour se convaincre ainsi que toute occasion, quelle qu’elle soit, ne peut advenir. Maltraitances, violences auto-assénées deviennent son lot quotidien et maintiennent une cohérence qu’elle s’est forgée quant à la perception qu’elle a du monde, de son monde.
Depuis, elle se débat dans un quotidien dont l’histoire de fond ne lui appartient pas mais dont elle a pris le relais par loyauté familiale, par loyauté envers la mère. Et c’est ce même scénario qui se joue et se rejoue inlassablement, de génération en génération, sur les mêmes gammes, les mêmes harmoniques, le même décor, les mêmes costumes.
Extrait du recueil Fragments d’histoires, de Marina TABEL
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