Conscience & Connaissance de soi | Développement personnel | Evolution personnelle | Réalisation de soi | Potentialiser les situations de vie

Cette maison n’a besoin de rien
Nous étions sortis en mer
Et il s’est noyé
Nous étions sortis en mer
Et il s’est noyé
1.
Il était mort à présent l’aube
L’heure de sa mort n’a pas pu être précisée
Noyé par les dettes
Noyé par les remords
Noyé dans son effort pour trouver une raison de vivre
Les enfants ne suffisaient plus
Sa femme ne suffisait plus
Trop grandes les dettes
Trop grands les remords
Trop grande la marée
Elle a emporté son corps
Elle l’a roulé dans les vagues
Et les poissons du ciel en ont fait un festin.
2.
La famille décapitée
A tressailli
A trébuché
Elle s’est appuyée
Sur tous les murs du quartier
Elle a rougi le monde
Quarante jours
Et quarante nuits
Sur la table de la cuisine
Dans un verre transparent
Un peu d’eau
Un peu d’huile
Et une mèche allumée
Pour que ton âme vienne boire
Chacun à tour de rôle
Nous venions regarder
Secrètement
Et l’air de rien
Aurais-tu bu?
Aux tortures de la journée
Nous restions silencieux
La nuit on hurlait
seuls
La bouche contre l’oreiller
Le savais-tu que nous t’aimions?
3.
Au bout de quarante jours
Première tentative de repartir en mer
À trois dans la barque
Les enfants ont pris leur place
La mère la sienne
Toute seule avec les rames
Plus forte que jamais
Plus pâle que jamais
Amour et rage dans les yeux
Les lèvres bien serrées
Quelle tristesse
Quel soulagement
La barque était plus légère à trois
”Tu n’étais pas un fardeau!
Tu n’étais pas un fardeau!”
Elle se répétait
Comme si lui
– exilé au pays des ombres –
Pouvait encore l’entendre
”Tu n’étais pas un fardeau!
J’aimais notre poids à quatre”
Les enfants regardaient les eaux
La barque touchait à peine la surface
Placide, elle glissait
Vers les jours à venir
Ce jour-là
Ils ont vu des poissons par milliers
Mais ils n’ont pas pêché
”Tu n’étais pas un fardeau!”
La mère a ramené toute seule la barque jusqu’au port
Sa jupe était mouillée
C’est qu’elle avait eu peur
Elle regardait ses enfants
Ils étaient sains et saufs
Elle souriait.
4.
Les gens de la ville venaient les soutenir
Ils apportaient du pain et des fruits frais
Du sucre et du beurre
Et avec chaque offrande
Ils proposaient des solutions
Ils disaient
Ils disaient
Ils disaient
Que les enfants devaient partir
Chez leurs oncles et tantes
Pour avoir le confort
Pour avoir les études
D’autres proposaient à la mère
Un nouveau mari
Un homme fort, plutôt riche
Qui saurait s’imposer
Qui les aiderait à s’en sortir
Et aller de l’avant
La mère écoutait patiemment
À la fin elle se levait
Fière comme une reine
Elle remettait dans leurs mains
Les cadeaux apportés
”On a encore de quoi manger
Bientôt on retournera en mer”
Au bout de quelques jours
Fatiguée par les visites
Ayant peur que sa fierté
Ne mette la ville en colère
Elle a accroché sur la porte du jardin
Un petit panneau
”Vous êtes les bienvenus
Venez les mains vides
Cette maison n’a besoin de rien.”
5.
Le testament du père a été retrouvé
Dans les tiroirs aveugles de la famille
Là où se garde tout ce qui a été volé entre nous
Tout ce qui a été cassé
Tout ce qui a été donné
Et que les autres n’ont pas su prendre
Il a légué à sa femme
Des clés et des serrures
Pour bien fermer les portes du passé
Qu’elle ne soit pas exposée
Aux courants froids de la mémoire
Il a légué à ses enfants
Son rire
Sa myopie
La joie du verbe et de l’Histoire
Les battements irréguliers de son coeur
Et le sens de la justice
Ils ont porté tout ça comme des habits précieux
Qui ne conviennent
Ni aux saisons
Ni à la mode
Les gens les regardaient
Avec admiration
Et pitié.
6.
Jour après jour
Ils retournaient à la mer
Les rames dans les mains
Les filets autour du cou
Et les vagues à l’âme
Comment oublier?
Comment ne pas oublier?
Et ils pêchaient
Ils pêchaient
Et la mer était généreuse
Pendant le voyage
Les enfants demandaient
Qu’est-ce qu’il arrive aux hommes
Après la mer
Après la terre
Pendant le ciel?
Et leur mère avait toujours une réponse
Et les semaines passaient
Et ils pêchaient
Ils pêchaient
Et la mer était généreuse
Et les enfants demandaient
Quelle est la place exacte
Où l’on doit se tenir
Dans la mer
Sur la terre
Sous le ciel?
Et leur mère avait toujours une réponse
Et les mois passaient
Et eux partaient chaque jour plus loin
Les rames dans les mains
Les filets autour des bras
Et les vagues dans l’âme
Et ils pêchaient
Ils pêchaient
Et la mer était toujours généreuse
Et les enfants demandaient
Que doit-on faire
Lorsque la mer rugit
Lorsque la terre devient aride
Lorsque les cieux se ferment?
Et leur mère avait toujours une réponse
Et les années passaient
Et ils pêchaient
Et ils pêchaient encore
Ils vendaient leurs poissons aux marchés
Toute la ville venait acheter
Ils ont remboursé leurs dettes
La barque maintenant était à eux et ils l’avaient repeinte
La maison était à eux et leur jardin était fleuri
L’école était payée
Et la mère portait une robe toute neuve
Personne dans la ville ne les regardait plus
Comme on regarde les veuves et les orphelins
Et dans les yeux du fils et de la fille brillait toujours
la réponse maternelle :
”Il faut s’allier avec la mer
Pour sauver notre dignité sur terre
Malgré les intentions du ciel
Envers et contre tout
Comme seule arme et remède
La dignité.”
Katerina Apostolopoulou, J’ai vu Sisyphe heureux, Éditions Bruno Doucey, 2020, pp. 13-35.
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