La voix, notre présence au monde

Christian Bobin nous révèle, dans les premières lignes qui ouvrent le livre-mémoires intitulé Pierre, l’objet d’une quête qu’il aura mis 60 ans à pouvoir formuler et toucher en corps et en esprit : “le surgissement d’une présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions”.

Une présence.

La voix est, entre autres, la parfaite représentation et manifestation de ce que ce terme peut recouvrer dans son acception la plus large.

Accent. Tessiture. Vibration. Contenant. Echo. Inflexion. Timbre. Registre. Son. “Les voix sont ce trésor que les gens vous donnent, même les avares. Ce que la mort ne pourra capturer, ni une machine d’enregistrement. Car une voix, ce n’est pas que le souffle, les paroles, ni même les silences. Une voix, c’est le monde entier repeint par la personne. Comment depuis le berceau elle voit le monde. Comment elle l’aménage ou le brûle”.

La voix se fait l’écho, le récipiendaire de ce qui brûle en elle, parfois, jusqu’à l’extinction. En ce sens, elle est refuge ; l’empreinte colorée d’une multitude de mémoires qui viennent s’amalgamer les unes aux autres pour venir former une frappe particulière qui est à la fois stigmate et témoignage.

Elle se fait topographie ; elle révèle à celui qui sait entendre au-delà du son les infractuosités, les cavités les plus profondes, les terrains mille fois empruntés, ces zones laissées en jachère que d’aucuns ne pourraient soupçonner l’existence mais qui, d’un coup d’un seul, prennent corps sous nos yeux car la voix est présence. Elle est le relief de l’échancrure de nos vies.

La voix. Notre voix.

La voix. Cette partition si particulière qui se laisse percevoir à ses modulations, à son accent, à son inflexion, à sa sonorité, à son souffle, à son rythme …

Lorsque je reçois une demande par mail, j’organise systématiquement un entretien téléphonique pour bien cibler l’objectif et le cadre de la séance. Cet instant placé face à une voix est un moment-clé pour la sensibilité qui est la mienne car elle sait y déceler, tel un topographe, un géologue, le terrain y attenant et les glissements qui s’y sont successivement produits jusqu’à sculpter le terrain qui s’y trouve. En ce sens, le son d’une voix, son souffle comportent, en eux, un certain nombre d’informations qui me permettent de ressentir bien des événements qui auraient pu se produire dans la vie de la personne qui est au bout du fil. Un lien se tisse sans même être assurée qu’une séance sera programmée car la voix est ce canal qui relie et qui nous transporte dans des Ailleurs aux confins desquels ce qui se murmure tout doucement, subrepticement à nos oreilles, fait écho de strates qui pourraient nous paraître, de prime abord, inaccessibles mais qui, pour une oreille avertie, se font signes et par là-même, deviennent signifiantes. Elles deviennent alors ce liant que la personne cherche tant à contacter dans son quotidien sous la forme du “sens”.

Je suis à chaque fois émerveillée d’observer tout ce qui peut surgir d’une voix, de votre voix. J’en ressens à la fois une forme d’enchantement mais surtout, la certitude que même dans les histoires les plus ardues, entremêlées, tellement nouées que la seule solution est de trancher net le noeud qui étrangle et oppresse, ce qui a à se dire et à se manifester apparaît à travers elle. En ce sens, elle ne triche pas. Elle ne ment pas. Elle se fait l’écho de chaque petit recoin de notre existence et de la saveur qui en émane car la voix est présence. Si nous apprenions à nous écouter, à écouter notre voix, elle se ferait tel un cristal de roche : transparence.

Et pour vous, qu’en est-il? Qu’est-ce que votre voix reflète et “dit” même dans le plus profond des silences?

On en parle? 😀

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