Ce travail d’accordage qu’est l’harmonie

“Censure & liberté d’expression” – Hassan (Cartooning for Peace)

L’harmonie.

Le dictionnaire Trésor de la langue française en donne, entre autres, cette définition : “état de sérénité et de bonheur paisible”.

J’y vois, pour ma part, une autre consonance moins aliénante que celle de cette recherche actuelle, relativement palpable au sein de nos sociétés, d’un état que chacun tente de faire perdurer voire de figer afin de ne pas goûter à la saveur d’autres états moins engageants. Pourtant, ces états font partie intégrante d’un processus d’harmonisation. Car harmoniser signifie avant tout accorder. Ce terme, de par sa consonance, nous renvoie de plein fouet à la musique, et aux instruments créés pour émettre des sons. Observez le guitariste qui s’apprête à jouer un morceau sur scène. Avant de démarrer son spectacle, il accorde sa guitare. Lorsque l’on doit prononcer un discours – qu’il soit court ou long n’importe guère ici -, avant d’entrer sur scène, on tente d’harmoniser ces énergies parfois bien disparates qui se bousculent en nous. On cherche à harmoniser celles qui surgissent à l’instant et qui peuvent, dépendant de l’assurance que l’on a face à un public, nous étrangler, nous rendre maladroits, nous faire transpirer ou au contraire, nous laisser tranquilles, calmes, sereins voire un chouya excités de pouvoir prendre la parole sur un sujet donné. C’est une opportunité que certains vont saisir en se sentant à l’aise tandis que d’autres s’en saisiront avec effroi. Ce qui s’apprête à se jouer avant un quelque chose d’éminent est fonction de ce qui peuple l’intériorité de chacun. Certains se mentent un peu à eux-mêmes puis, lorsqu’ils sont confrontés à la chose, ils perdent pied tout en s’en étonnant.

C’est que l’harmonie ne se cultive pas en évitant des conflits à tout-va donc en faisant angle rond, en se taisant, en passant outre, en minimisant, en se repliant dans l’antre du déni, en prenant constamment sur soi, en réprimant, en se rendant invisible, en se rapetissant, en se restreignant et j’en passe. 

L’harmonie, c’est se mettre au diapason de ce qui se murmure à l’intérieur de nous donc de consentir à se faire écoute de ce qui gît au plus profond de nous et qui remonte, par vagues, en fonction de ce qui se vit au quotidien. Car une personne qui est en harmonie avec ce qui est l’est, avant tout, avec elle-même. A force de se fréquenter, de se côtoyer, elle apprend à ne plus confondre Harmonie et béni-oui-oui, vous savez, celui qui pour plaire à tout prix finit par se perdre dans tout car tant qu’il plaît et qu’on l’adopte comme tel, il peut tout accepter. Tout. Jusqu’à trahir le coeur de son essence.

Or, dans ce cas de figure, aucune harmonie n’existe. Au contraire, c’est plutôt une sorte de déséquilibre qui se crée et qui va, le temps passant, vers le grand écart. Écart en termes de justesse. Écart en termes de confiance. Écart en termes d’assurance. Et c’est cet écart, qui va aller croissant au fur et à mesure du jeu, que le principal acteur – notre fameux béni-oui-oui Apôtre de la Conciliation sans limite aucune – va commencer, tout doucement mais sûrement, à perdre la face ou à perdre pied ce qui revient au même. Un malaise est bel et bien présent. Celui que l’on n’a pas voulu regarder en face lorsqu’il ne cessait de se manifester au son de nos oreilles surgit, cette fois, sous la forme de micro-situations où nous pouvons nous sentir infériorisés, rapetissés, utilisés, transparents, tournés en ridicule, etc. La sensation et le ressenti seront fonction du décalage qui se vit en vous et des raisons qui vous amènent à chercher à constamment plaire à autrui. Cette quête constante va au-delà de la séduction pure qui appelle déjà en son sillon une certaine forme de manipulation. Elle nous parle d’une forme de dénégation à l’oeuvre. Une forme de déni. 

« La colombe de la paix« , caricature de Kroll (Cartooning for Peace)

Ne pas regarder en face l’objet de cette blessure de rejet, blessure que nous portons tous en nous à des degrés divers. Refuser d’en regarder la nature et d’en entendre la manifestation équivaut à s’enkyster dans des stratégies où les désirs et les besoins des autres sont mis sur le haut de la liste des priorités. Les autres passent avant nous. Il s’agit d’abord d’eux quitte à y perdre son âme et son essence car dans ces cas de figure, c’est l’autre que l’on ne cesse de complimenter, d’approuver, de reconnaître, de valider dans ce qu’il vit en se déniant le droit d’exister et d’être. Alors, on finit par paraître l’antithèse de ce que nous sommes dans le but d’être acceptés. La stratégie coûte cher au final.

Mais c’est sans compter la puissance de l’inconscient qui agit pour nous et qui, à un moment donné, va tirer la sonnette d’alarme tellement fort que le signal ne pourra plus être évité.

L’invitation?

Stoppe ta course un temps. Appuie sur le bouton Pause. Arrête de te prostituer au plus offrant en échange d’une once de considération. Apporte-toi cette considération, cette écoute, cette acceptation que tu recherches tant à obtenir et à valider à l’extérieur. Écoute ce que te susurre ton inconscient. Écoute ces voix en toi qui, souvent, se télescopent, se contredisent, se chamaillent entre elles. Écoute la voix de l’Interdit, de cet interdit que des figures d’autorité ont placé sur toi. Et fais-les correspondre, toutes ces voix. Mets-les en apposition au lieu de les laisser dans le lieu de l’opposition. Laisse-les chacune dire ce qu’elles ont à dire, sans intervenir, sans les faire taire puis apprends à détecter la force et la puissance qui gisent en chacune d’elles. La voix d’un dictateur peut être incroyablement inconfortable mais elle sait se faire entendre. C’est ce trait qu’il convient de retenir, pas le rapport de forces qui la fait entrer dans des rapports de domination/soumission. La voix de la fragilité sait se faire délicatesse. C’est à chacun d’entre vous d’extraire les qualités de chacune de ces voix pour savoir comment et dans quel contexte les utiliser au mieux et surtout, pour les faire concorder, pour en allier leur essence et en accorder la substance afin de pouvoir être vous tout en étant avec l’autre. 

Plus vous deviendrez familier avec le coeur de votre être, plus ces alliances se tisseront sans même que vous ne vous en rendiez compte. Or, vous êtes les seuls à pouvoir pénétrer vos profondeurs. Personne ne le fera à votre place. 

Et lorsqu’un individu, quel qu’il soit, s’accorde ce temps en tête-à-tête avec lui-même et qu’il se fait réceptacle de ce qui en surgit en établissant des ponts, des passerelles, des alliances entre ce qui y vit, c’est alors ceci qui se produit : 

Une harmonisation.

A l’issue, ma vie sera-t-elle exempte de conflits? Non. Le conflit est sain. Ce qui est malsain, c’est plutôt cette attitude quasi pathologique qui consiste à en fuir les effluves à tout prix. Car le conflit permet de faire valoir ce qui importe à nos yeux et qui n’a pas été considéré comme tel. Il nous permet de faire entendre un droit, un devoir, une valeur, un besoin, un désir, etc. Il permet de rééquilibrer des situations au sein desquelles un rapport de forces prime, une injustice achoppe, une dégradation a pris corps et a élu résidence.

Dans l’esprit de certains sujets, l’harmonie est synonyme d’équilibre. Conserver et maintenir à tout prix un équilibre, autrement dit, la paix (bien souvent de l’esprit) et maintenir coûte que coûte cette paix équivaut à tout accepter, à tout tolérer même l’intolérable. Pourtant, pour maintenir un écosystème en place et ne pas l’amener à un affaissement, il est parfois nécessaire de se départir de certains processus, de certains systèmes qui dégradent, de certaines habitudes qui amènent vers l’exploitation, de certains schémas de pensées devenus obsolètes, de certaines croyances qui tirent vers le bas, et/ou de réactualiser certaines traditions en leur permettant d’injecter dans le système leur sagesse mais de ne pas l’entériner sous des monticules d’interdits ne correspondant plus et n’étant plus en phase avec l’époque où elles peuvent encore servir d’appui sinon elles deviennent des boulets dont on éprouve force mal à se séparer de par les liens qu’elles nouent avec toute une tradition, à savoir, nos aînés, nos ancêtres, notre lignée vis-à-vis desquels nous avons un devoir de mémoire et de transmission. Une transmission, quelle qu’elle soit, se doit, dans son opérabilité, de s’accorder à son temps sinon elle n’est qu’une prothèse qu’on appose sur un membre malade. Où réside l’harmonie dans pareil acte?

L’accordage. 

C’est cela l’harmonie. Accorder ce qui gît en nous avec ce qui surgit à l’extérieur. Pour ce faire, c’est d’abord de notre intériorité qu’il convient de partir, l’extériorité ne nous envoyant que des signaux en ce sens.

Et là, on arrive à cette autre définition du dictionnaire Trésor de la langue française :

“Combinaison spécifique formant un ensemble dont les éléments divers et séparés se trouvent reliés dans un rapport de convenance, lequel apporte à la fois satisfaction et agrément.”

“Cohérence, ajustement, accord de sons entre eux.”

Car ce qui surgit de nos entrailles, c’est toute une gamme d’accords que nous sommes invités à harmoniser afin d’agir en cohérence avec ce que nous sommes.

A ce moment-là, on apprend que derrière chaque harmonique réside le chaos et que ce sont ces périodes de vacuité qui permettent un recentrage vers l’essentiel.

Au fond, l’harmonie réside peut-être, ici, dans la quintessence de toute chose.

Et pour vous, qu’en est-il? Que taisez-vous, en vous, pour vous sentir accepté(e) par votre entourage? Quel(s) désir(s) vous soustrayez au silence pour permettre aux autres d’exister? Quel projet vous étouffez pour ne pas vous exposer à la critique ou au rejet? Quel besoin vous bridez pour satisfaire ces autres? 

On en parle? 😀

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